Fausse routeIl y a parfois des livres météores, qui traversent l'espace pour atterrir au détour d'une librairie entre vos mains. C'est le cas de Fausse route de Pierre MERIDOL. On les ouvre avec un peu d'appréhension, en se disant : ça va il n'y a pas beaucoup de pages, je ne prends pas trop de risques à tenter la lecture de cet auteur d'un autre siècle, quasi inconnu.

Grâce à cette réédition par La Dilettante de ce livre paru en 1950 et publié par Les éditions de Minuit, on se retrouve plongé dans un Salaire de la peur version française. Mais il n'y a pas besoin d'explosifs dans le chargement des véhicules pour nous faire vibrer. Les noms des antiques camions, Berliet-diesel Six, Saurer et Citroën C6 suffisent. Pas de course poursuite, si ce n'est contre sa propre destinée. Les héros de Fausse route ne sont que des individus perdus, à la recherche d'un peu d'aventure, d'humanité et si possible d'amour, et qui peuvent basculer dans la violence quand le peu qu'ils croyaient avoir gagné leur est soustrait. On voyage avec eux le long des routes qualifiées aujourd'hui de mythiques qui sillonnent la France : N6, N7.... Sans aucun brin de nostalgie, car Pierre MERIDOL écrivait sur son époque, on voyage en regardant des vieilles cartes Michelin cent fois plissées et bien graisseuses, on s'arrête dans des bars enfumés pour s'en jeter un dernier pour la route après une partie de cartes, on dort dans des hôtels pas très nets et on traverse des villages déserts dans la nuit, le regard distrait de temps en temps par des plaques publicitaires émaillées (les réclames !) ventant les mérites d'une boisson alcoolisée ou d'une marque pétrolière.

Roman noir plutôt que policier, road movie avant l'heure, Fausse route est un témoignage en une centaine de pages de notre passé. Il ne faut surtout pas sauter la lecture de la préface de Philibert HUMM, avec un vocabulaire digne des dialogues d'AUDIARD, maniant avec dextérité un argot des faubourgs à couper au couteau.

Fausse route est l'unique ouvrage de Pierre MERIDOL, artiste touche à tout d'après-guerre. Prenez-là, elle vaut la peine de s'y aventurer.

Notice de l'éditeur

Mérindol, nom rêvé pour un village, ou pour un couteau de poche, l’un qu’on respire fleuri à souhait, l’autre, fidèle, à la main. En l’occurrence, notre Mérindol à nous, Pierre, né Gaston Didier, c’est un zigue de première, complice de Robert « Bob » Giraud, l’auteur du Vin des rues, l’Homère des rades, et Robert Doisneau, l’Orphée du Rolleiflex. Formé après-guerre, le trio triole à souhait quelques années puis s’explose, chacun prenant sa voie : Robert Doisneau devient Doisneau, Giraud reste Bob, se fondant dans son paysage intime, notant, zinc après zinc, les « choses bues » du Paris populaire. Pierre Mérindol, lui, nous apprend Philibert Humm dans sa goûteuse préface, après avoir bezotté pour le galeriste Pierre Loeb, rôdé à la Contrescarpe et poussé une dernière fois, sur scène, la grande Fréhel, s’exfiltre, gagnant Lyon où il se mue en localier au Progrès. De lui nous reste, paru en 1950 aux Éditions de Minuit, aujourd’hui réédité par Le Dilettante, Fausse route. L’histoire d’une paire de drôles, le conteur et son pote Édouard, qui se camionnent la France en tous sens. Ils héritent en cours de route de la Françoise, une drôlesse finaudement mélancolique qui devient leur part à deux, à la pause ou sur les cageots de légumes et finit par se mettre avec Édouard, ouvrant un bar de poche rue Mouffetard. Sortie de route prévisible, hélas, quand se joindra au trio le gars Jules, nigaud ardent et brouilleur de cartes. Sans pause pipi, ni arrêt buffet, au fil de ce road-book noirissime, les routiers de Mérindol taillent la route à la diable, bitume et toiles cirées, en tous sens, panneaux publicitaires succédant à de somptueuses apparitions de villes ou éclosions de campagnes. Le Ciel est aux violents, dit-on, l’enfer aux fous du volant, dont acte.